Maus. Art Spiegelman
Maus n'est certainement une bande dessinée parmi tant d'autres. D'abord, c'est la première dédiée à l'holocauste, doublée d'un chef d'œuvre universellement reconnu. Ensuite, elle surprend à cause de l'anthropomorphisme des personnages qu’on réserve traditionnellement aux albums humoristiques ou pour enfants. Pour finir, il faut reconnaître que c'est un "petit pavé" de presque 300 pages.
Cette version intégrale de la bande dessinée reprend les deux tomes intitulés Mon père saigne l'histoire & Et c'est là que mes ennuis ont commencé. Chacune de ces parties est composée de 5 ou 6 chapitres : Le Cheik, Lune de miel, Prisonnier de guerre, La corde se resserre, Trous de souris et La souricière (pour le premier volet) puis Mauschwitz, Auschwitz (le temps s’envole), Et c’est là que mes ennuis ont commencé, Sauvé et La seconde lune de miel (pour le second volet).
Art Spiegelman a réalisé un travail faramineux pour lequel il a été maintes fois récompensé (jusqu'au très prestigieux Prix Pulitzer!) et pourtant… il a suscité récemment des controverses qui semblent d’un autre âge. En 2022, le conseil d'administration des écoles du comté de McMinn, à l'est du Tennessee, a décidé à l'unanimité de retirer Maus du programme de ses écoles. Ses membres ont jugé le contenu de la BD inadapté aux élèves de collège. Ils ont invoqué un « langage grossier », des jurons « inutiles », le dessin d'une femme nue représentée en souris ou encore des mentions de meurtre, de violence et de suicide.
Les premières planches de Maus ont été publiées à partir de 1972 mais la reconnaissance mondiale de son auteur n'est arrivée que bien plus tard, avec la parution intégrale de l’œuvre.
La bande dessinée est le récit croisé de Vladeck Spiegelman, juif polonais qui a survécu aux camps de concentration nazis, et d’Artie, son fils auteur de comics. Celui-ci projette d'utiliser le témoignage de son père pour raconter le calvaire de la Shoah. Même si les relations entre les deux hommes sont difficiles, Art Spigelman parvient à maintenir un recul nécessaire pour restituer l'histoire de ses parents le plus fidèlement possible.
Personnellement, j'ai admiré le stoïcisme relatif dont Artie fait preuve face aux lubies du vieil homme... Cela dit, il me semble que son passé lui donne quelques excuses, même si ce n'est pas toujours l'opinion de son fils. Art Spiegelman, qui n'hésite pas se mettre lui-même en scène, nous restitue les entretiens et les disputes avec son père, ses questionnements sur la façon de traiter son sujet, ses doutes et ses peurs... bref, il s'engage pleinement et le plus honnêtement possible dans son œuvre.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser en ouvrant cette bande dessinée, l'anthropomorphisme des personnages (les Juifs sont représentés par des souris, les Allemands par des chats, les Polonais par de cochons, les Français par des grenouilles...) n'atténue en rien le caractère dramatique du récit. Cette dimension est d'autant mieux rendue que l'aspect très sombre du graphisme (tout en noir et blanc) est accentué par la finesse du trait et les hachurés.
Lorsque le récit le nécessitait, Art Spiegelman a réalisé des cartes et des croquis très précis, tel un plan du camp d'Auschwitz, par exemple. Ailleurs, on trouve un extrait du comics qu'Art Spiegelman a publié pour exorciser le suicide de sa mère en 1968 ; plus loin, une photo de son père en uniforme de déporté... un vrai travail de journaliste, bien documenté et le plus impartial possible, mais non dénoué de sentiments.
Peut-on sortir complètement indemne de la lecture d'une telle œuvre ? Je ne crois pas mais cela ne justifie pas la censure. Cet ouvrage est indispensable à la mémoire collective.
📚Voir aussi les recensions sur les blogs Carnet de lecture, Un dernier livre avant la fin du monde et La petite liste.
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